mercredi 4 août 2010

Centaurium pulchellum, l’érythrée élégante


 Ces plantes ont à peine 2 cm de haut: on ne les voit pas toujours malgré la couleur!
 À chaque fois que je la rencontre c’est un plaisir renouvelé. Mes grands pieds l’ont sans doute écrasé souvent sans le savoir! Je connais mieux son habitat maintenant et je suis plus attentif. Elle prend de plus des formes différentes selon le milieu et l’ensoleillement. Dans un sol dénudé c’est une lilliputienne de quelques centimètres à peine visible, même en s’arrêtant. Quand elle est présente elle est en étendue colonie toujours peu dense: elle ne cherche pas à faire mentir son élégante discrétion. Je l’ai aussi croisé en grande forme atteignant presque 30 cm. Mais elle se cachait alors en partageant l’espace au pied de roseaux de 2 mètres. Je me suis toujours demandé comment elle arrivait à tirer son épingle du jeu parmi ces géants!

Les géants, elle connaît. Et les géants la connaissent aussi. Le genre Centaurium est un rappel de son rapport avec les Centaures et plus spécialement le centaure Chiron. La mythologie grecque le présente comme un grand sage: médecin, bon chasseur, connaisseur des plantes et de leurs usages, tuteur et protecteur des héros. Homère dit de lui qu’il est “le plus juste des centaures” et d’une exemplaire conduite morale. C’est lui qui enseigna la médecine à Asclépios le dieu de la médecine pour les Grecs. Chiron s’est guéri d’une grave blessure avec cette plante. Un énorme et puissant centaure cassant du lion et du loup à mains nues et s’intéressant à cette petite élégante chose. Riche mythologie!




 Arrivée de lointains rivages, mes sabots te connaissent maintenant!

Le genre Centaurium (famille des Gentianacées) compte une cinquantaine d’espèces. Ce sont des plantes glabres (sans poils) avec des feuilles opposées. Les sépales sont fusionnés à la base et les pétales (habituellement 5 mais à l’occasion 4 pour nos deux érythrées). Les tiges de nos espèces sont carrées: faites-les tourner doucement entre vos doigts pour le constater.

Je l’avais confondu avec Centaurium erythraea* (érythrée petite-centaurée) qui est une plante plus grande (jusqu’à 50 cm) avec une rosette de feuilles à la base, dont les fleurs plus grandes ne sont pas portées par un pédicelle (et quelques autres caractères pas clairs qui continuent à me chicoter...). Cette dernière est apparemment plus rare ici et je ne l’ai jamais vu. Bien qu’elle ne soit souvent pas plus haute que quelques centimètres, notre Centaurium pulchellum (l’érythrée élégante) atteint 30 cm au maximum et n’a pas de rosettes de feuilles à la base. Les fleurs sont portées par un pied allongé (pédicelle) bien apparent qui les élèvent au-dessus des feuilles. L’ensemble est plus délicat et... élégant que l’érythrée petite-centaurée.

Notons que l’on connaît un hybride hautement fertile entre les deux espèces en Angleterre. Il a justement ces caractères intermédiaires qui m’égarent comme la longueur du pédicelle et de la corole.  Peut-être qu’un jour j’aurai l’occasion de pousser un peu la chose et de vérifier la possibilité que l’hybride soit présent ici aussi. C’est peut-être la source de ma confusion: je ne m’appelle pas Chiron!





Ci-haut à gauche trois spécimens typiques. Au centre, Centaurium erythraea**, notez l’absence de pédicelle sous la fleur. Si vous comparez à la fleur de Centaurium pulchellum à droite vous remarquerez le pédicelle qui porte la fleur bien au-dessus des feuilles (juste au-dessus de la brindille...)

On trouve l’érythrée élégante sur des sols perturbés et dénudés... et pour cause! Comme d’autres espèces du genre c’est une plante de littoral et de marais salés en Europe et ailleurs. Ici en Amérique il faut la chercher au bord de fossés longeant des chemins ou dans d’autres endroits périodiquement inondés. La plante est halophyte, c’est à dire qu’elle pousse où le sol est chargé de sels et c’est certainement vrai des fossés le long des chemins, routes et autoroutes à cause du sel de déglaçage répandu. C’est aussi souvent le cas de sites industriels, voies ferrées et sites de dépôt de neige chargée de sel. Peu de plantes réussissent à vivre dans un environnement aussi difficile.

Ses graines survivent mieux que les autres dans un sol chargé de sels minéraux et l’arrivée de l’eau (fonte des neiges, inondations périodiques) réduit la salinité du sol qui empêchait jusque là sa germination***. La plante habite donc des endroits inondés au printemps et ses graines semblent même exiger l’inondation lessivante afin de lever leur dormance. Comme d’autres plantes halophytes de milieux humides (Ranunculus cymbalaria, certains joncs) ou secs (Atriplex, Kochia scoparia, Chamaesyce, etc) elle a peu de compétition dans sa micro-niche.


La belle petite m’occupera encore, j’aimerais avoir de meilleures photos!

L’élégante est impossible à photographier! En studio je veux dire, immanquablement j’arrive chez moi et les fleurs sont fermées! Faut dire que c’est quelques kilomètres à chaque occasion... J’essaie de la cultiver mais sans grand succès: elle a fait quelques fleurs puis a dépéri... À la maturité les anthères qui s’ouvrent se tordent en spirale pour relacher le pollen, c’est un caractère partagé par toutes les espèces de Centaurium et de cela je ferai une photo. Promesse de Centaure!

Notes


* Les autres billets où j’ai parlé de cette plante en la nommant Centaurium erythraea:

Deux lilliputiennes pour le prix d’une. 
Attrape-plante, encore du nouveau.
Attrape-plante 2010.
Mon champ d’études.

**Tiré d’une planche de Centaurium erythraea de Otto Wilhelm Thomé, Flora von Deutschland Österreich und der Schweiz (1885)

***S. Zivkovic, et al, Effect of NaCl on seed germination in some Centaurium Hill. species (Gentainaceae), Arch. Biol. Sci., Belgrade, 59 (3), 227-231, 2007.

Struwe & Albert, Gentianaceae. Systematics and Natural History. Cambridge University Press 2002




7 commentaires:

  1. Bravo pour ce billet des plus instructif M. Latour. Aujourd'hui même, je me fais un mini-safari photo consacré à cette petite élégante!

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  2. Alexandre Lemire? Le même que j'ai à l'esprit? Si tu la trouves tu me feras signe? Ou si tu veux mes "adresses" dis-le moi!

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  3. Oui probablement celui que tu a à l'esprit!

    Celui qui t'a visité chez toi avec sa levrette italienne et qui n'était pas très très "dégourdit" devant une lentille qui veux son portrait...
    Celui qui a fait preuve d'un peu d'impatience par la suite...désolé de mon empressement.
    Je ne crois pas t'avoir remercié pour tes clichés...que j'ai adorés! Alors Merci!

    J'ai pensé trouver la "Centaurium pulchellum" près de l'endroit ou ils remisent le sel pour l'épendage rue déscarrières, mais elle n'y était pas : (
    Je ne perd pas espoir parcontre! Peux-être qu'avec un peu de ton aide...ou comme tu le sous-entend si subtilement, quelques unes de tes "adresses", j'aurais plus de chance d'en croiser une : )

    Salutations!

    P.S.Ton blog est franchement formidable!

    Alex

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  4. Joliment instructif! La vie de ces plantes (qui m'est inconnue, je dois le dire) expliquée avec les mots, les images des grandes mythologies antiques est un délice à lire! Les photos parlent aussi dans le même sens : elles sont douces et belles. Bravo! Quelle belle écriture, quelle belle érudition florale et humaine «marginale», rafraîchissante! Merci!

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  5. @ Alexandre: c'est dernière minute, je sais, mais si ça te dit je dois aller chercher des spécimens samedi après-midi. Écris-moi sur mon courriel.

    @ Vicki: commentaire reçu avec satisfaction! Merci!

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  6. Merci d'avoir répondu à la question que je vous ai posée sur le Centaurium pulchellum dans votre dernier article, mais que vous n'avez, pour je ne sais quelles raisons, pas publiée.

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  7. Oh! Anonyme!...désolé, pardonnez-moi de quoi s'agit-il? Pas facile de faire le suivi d'un échange avec "anonyme". Donnez-moi plus de détails!

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